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Une machinerie incolore et inodore

Voir en ligne : Vidéo-surveillance ou vidéo-protection ?

Le site de la LDH-Toulon publie un extrait du livre collectif (et contradictoire) "Vidéo-surveillance ou vidéo-protection ?". Eric Heilmann pose dans le chapitre "Une machinerie incolore et inodore" la question du manque de réactions critiques de la part du public à l’apparition des caméras dans l’espace public.

« Parmi les arguments avancés par le gouvernement pour étendre l’installation de caméras sur le territoire, celui de l’adhésion des populations à ces opérations est régulièrement mobilisé. Il est utile de s’y arrêter afin de le questionner et d’en cerner toutes les facettes.

Un bref retour vers l’histoire permet d’abord de relever que face aux techniques mobilisées par les forces de l’ordre pour assurer la surveillance ou le contrôle de la population, celle-ci n’est pas toujours restée passive, bien au contraire. Les opérations qui ont consisté à mettre en fiches la population, à faciliter l’identification ou la localisation d’un individu, ont toujours suscité l’opposition ou la résistance des personnes visées. Trois exemples permettent d’illustrer ce phénomène à différentes époques en France.

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Qu’en est-il aujourd’hui ? A-t-on jamais vu les habitants d’une ville injurier ou menacer des ouvriers installant des caméras de surveillance au coin d’une rue ? A-t-on déjà assisté à un vaste mouvement de protestation de la population pour s’opposer à un projet d’équipement de vidéosurveillance lancé par une collectivité publique ? Il faut se rendre à l’évidence : la réponse est négative. Trente ans après le projet Safari, le plan d’équipement du gouvernement qui encourage l’interconnexion des systèmes publics de vidéosurveillance n’a pas suscité lamoindre réaction parmi les élites politiques (partis, syndicats ou autres).

À l’exception de quelques minorités militantes bien informées, comme la Ligue des droits de l’homme ou le collectif Souriez, vous êtes filmés, l’opposition à la présence de caméras de surveillance dans l’espace public est quasiment inexistante. Le déploiement de ces dispositifs semble plutôt soutenu par la population ou la laisse indifférente, une indifférence qui s’exprime notamment dans cette formule fameuse : « les caméras ne m’inquiètent pas car je n’ai rien à me reprocher ».

Comment expliquer ce phénomène ? Plusieurs motifs ont été avancés : le sentiment d’insécurité de la population, la communication politique efficace du gouvernement, l’influence croissante des marchands de biens de sécurité rompus aux techniques du marketing. On y ajoutera ici un autre qui tient à la nature même d’un dispositif de vidéosurveillance : l’usage de ces systèmes qui place l’image au coeur des procédures de surveillance marque une rupture radicale avec les pratiques classiques de fichage.